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CHRONIQUES ET RESSOURCES





Statut d'employé ou de travailleur autonome? Comment s’y retrouver?

Nous publions sur ce site des chroniques vulgarisées qui visent à répondre aux préoccupations juridiques fréquentes des organismes sans but lucratif. Toutefois, l’information contenue dans ces chroniques est de nature générale et ne constitue d’aucune façon une opinion ou un conseil juridique. Pour répondre à vos questions spécifiques, nous vous recommandons de rejoindre nos avocats au (514) 252 3137, qui vous proposeront les solutions les mieux adaptées à votre situation précise et à vos besoins. Le contenu du présent site est protégé par le droit d’auteur et peut être reproduit uniquement dans sa forme intégrale et originale avec mention obligatoire de la source.
 
Par l'équipe du Service juridique du Regroupement Loisir et Sport du Québec et son Centre québécois de services aux associations
 

À l’ère de la pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs, les organisations ne lésinent pas sur les efforts pour combler leurs besoins en personnels. Ces dernières listent leurs besoins et les exigences pour y répondre ainsi que les conditions qu’ils peuvent offrir en échange. Ainsi, ces critères seront utilisés pour l’affichage de l’offre d’emploi ou l’appel d’offres de services.

 

Il importe aussi pour l’organisation de se questionner sur la nature du lien contractuel qui se créera entre le candidat retenu et elle-même, et ce, afin d’évaluer les conséquences et obligations qui en découleront. Nous parlons donc ici d’établir si l’organisation doit procéder à l’embauche d’un employé ou plutôt retenir les services d’un travailleur autonome.

 

Plusieurs organisations décident de retenir les services d’un « contractuel » sans pour autant se questionner sur la nature de la relation qui existe entre elle et la personne dont les services sont retenus. S’agit-il d’un employé ou d’un travailleur autonome? Comment peut-on s’y retrouver?

 

Les répercussions de la qualification du statut d’emploi ou de travailleur autonome sont importantes. C’est pourquoi les parties au contrat se doivent d’en comprendre les effets. La qualification se fonde sur la situation de faits entourant la relation plus que sur tout autre élément. Chaque cas doit être évalué individuellement. Vous trouverez donc ci-dessous les éléments à considérer afin d’évaluer quelle est la nature de la relation. 


LE DROIT

 

Premièrement, nous vous référons aux dispositions du Code civil du Québec définissant ces deux contrats :

 

            - Le contrat de travail article 2085 C.c.Q. 

 

Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur.

           

- Le contrat de service ou d’entreprise article 2098 C.c.Q. :

 

Le contrat ou le prestataire de service, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.

 

Les éléments communs de ces deux articles sont l’exécution d’un travail et la rémunération, toutefois la grande distinction est le lien de subordination, c’est-à-dire l’aspect du contrôle de l’exécution du travail. En effet, l’article 2099 du C.c.Q prévoit que le « prestataire de service a le libre choix des moyens d’exécutions du contrat et il n’existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution. » En d’autres termes, le prestataire de services ne doit pas être supervisé par le client. Par ailleurs, dans la jurisprudence et la doctrine applicable en la matière, plusieurs autres critères ont été établis afin de faire l’importante distinction entre contrat de travail et contrat de service. Nous y reviendrons.

 

Il s’avère que les travailleurs indépendants sont de plus en plus nombreux et ne possèdent pas tous les mêmes caractéristiques. Plus spécifiquement, les travailleurs autonomes sont à leur compte et offrent une prestation de travail à leurs clients. Ces derniers n’ont aucun salarié à leur service et travaillent souvent pour un seul client. 

 

Le contrat de service, en tant qu’écrit, n’est pas particulièrement déterminant dans la qualification de ce statut. À ce sujet, les auteurs et les tribunaux sont unanimes. Nous vous citons à titre d’exemple un passage d’une décision rendue par le juge Marc Brière sur le sujet:

 

Au-delà de l’entente convenue entre les parties aux termes de laquelle ils souhaitaient convenir d’un contrat d’entreprise, tel que défini par l’article 2098 du Code civil du Québec, les tribunaux examinent les faits, c’est-à-dire la description réelle de la relation qui s’est installée entre les parties.

 

Les lois qui régissent l’emploi et le travail sont d’ordre public. Les parties ne sont pas libres d’y déroger, même par des contrats clairs. La liberté absolue de contracter n’existe plus depuis déjà un bon moment. On ne peut pas, par contrat faire d’un salarié un non-salarié. C’est la réalité de la relation établie qui fonde le statut de salarié et non les termes d’un quelconque contrat. (Et pour établir ce statut de salarié, tous les moyens de preuve sont bons pourvu qu’ils soient pertinents et crédibles).

 

Certes, l’employeur peut renoncer à exercer ses prérogatives patronales, mais il ne peut pas se soustraire à ses responsabilités et devoirs d’employeur. Le salarié peut ne pas vouloir exercer ses droits de salarié, mais il ne peut pas renoncer à son statut et à sa faculté d’exercer les droits ;[1]

 

Cet extrait représente clairement la position des tribunaux quant au poids qu’ils accordent à l’existence d’un contrat dans l’établissement de ce statut. Bien que les termes du contrat soient clairs, cela n’empêche aucunement une qualification autre. Il n’est tout simplement pas possible de contourner par contrat les lois qui sont d’ordre public, ces lois étant d’application générale et impérative.

 

Dans certain cas, le tribunal n’aura d’autre choix que de constater que celui qui a été identifié par son vis-à-vis contractuel comme « travailleur autonome » est en réalité un salarié et que conséquemment, ce dernier est en droit de bénéficier des différents avantages et protections édictés par les lois du travail.

 

 

LE LIEN DE SUBORDINATION

 

Afin d’agir conformément à une relation client/prestataire de service et non, employé/employeur, il est capital de référer aux critères de qualification retenus par la jurisprudence pertinente. Nous retenons des enseignements de la doctrine et de la jurisprudence que c’est principalement le lien de subordination qui distingue les contrats de service des contrats de travail. En effet, la Cour d’appel, dans l’arrêt Dicom Express inc. c. Paiement[2], mentionne que :

 

[17]      La notion de subordination juridique contient l’idée d’une dépendance hiérarchique, ce qui inclut le pouvoir de donner des ordres et des directives, de contrôler l’exécution du travail et de sanctionner les manquements. La subordination ne sera pas la même et surtout ne s’exercera pas de Ia même façon selon le niveau hiérarchique de l’employé, l’étendue de ses compétences, la complexité et l’amplitude des tâches qui lui sont confiées, Ia nature du produit ou du service offert, le contexte dans lequel Ia fonction est exercée. L’examen de chaque situation reste individuel et l’analyse doit être faite dans une perspective globale.

 

Voici les principaux critères développés par la jurisprudence sur la notion de subordination et les indices qui permettent de déterminer s’il y a présence ou non d’un lien de subordination : 

 

-       Le contrôle et l’encadrement du travail;

-       Le contrôle de la quantité et de la qualité du travail;

-       La présence d’instructions en regard de la prestation de travail et des méthodes de l’employeur;

-       Le mode de rémunération;

-       La propriété des outils de travail et du matériel;

-       Le paiement des formations et frais de déplacement;

-       La présence obligatoire à un lieu de travail;

-       L’obligation d’effectuer soi-même le travail ou la possibilité de se faire remplacer sans demander l’autorisation de l’organisation;

-       L’obligation d’assister à des réunions ou séances d’information;

-       Le respect de l’horaire de travail;

-       Le contrôle des absences du salarié pour des vacances et des congés;

-       La remise de rapports d’activités;

-       L’imposition des moyens d’exécutions;

-       Le pouvoir de sanction sur les performances du salarié, l’exercice d’un pouvoir de discipline et les évaluations de rendement;

-       Le risque de pertes et la participation aux profits de l’entreprise ou la possibilité de gain;

-       Le statut du salarié dans ses déclarations de revenus;

-       L’exclusivité des services de l’employeur;

-       La propriété de la clientèle.

 

De plus, la jurisprudence est claire à l’effet que pour conclure à la présence d’un contrat de travail, il n’est pas requis qu’il y ait présence de l’intégralité de ces critères, mais il doit avoir une preuve prépondérante qu’un nombre significatif sont rencontrés.

 

Ainsi, dans le cadre d’un emploi, selon le test de subordination, l’employeur contrôle l’exécution du travail, le « quoi », le « qui », le « où », le « quand » et surtout le « comment » du travail effectué par son employé. Ces éléments caractérisent le lien de subordination nécessaire de l’employeur sur son employé. De plus, celui-ci peut contrôler les absences, les congés de maladie et les vacances d’un employé. L’employeur contrôle aussi les résultats et les méthodes de travail. Conséquemment, l’employeur peut imposer des mesures disciplinaires au travailleur. Ce qui n’est pas le cas dans une relation client/prestataire de service.

 

Ceci étant dit, à l’opposé, un prestataire de service est libre de travailler au moment où il le désire et il peut travailler pour plusieurs clients en même temps. Le travailleur autonome peut donc réaliser plusieurs projets spécifiques en même temps, par opposition à un contrat de travail qui impose une obligation de loyauté à un employé (article 2088 du C.c.Q.). Conséquemment, le prestataire de service n’a pas l’obligation d’accomplir lui-même les tâches, il n’a donc aucun lien de subordination ou de loyauté envers son client. Il peut donc se faire remplacer facilement, contrairement à un contrat de travail qui s’adresse spécifiquement à un individu en particulier.

 

 

CONSÉQUENCES JURIDIQUES DU STATUT

 

La distinction comporte ainsi des effets directs sur la situation d’un individu. L’assujettissement aux lois ne se fait pas de la même façon et ne comporte pas les mêmes droits et obligations. En d’autres termes, les tribunaux peuvent conclure à l’existence d’un double statut pour une même personne, tout comme la qualification du statut peut varier selon la loi appliquée. Ainsi, une même personne peut se voir attribuer un statut différent en ce qui a trait aux lois fiscales, tant au provincial qu’au fédéral, mais aussi son statut peut changer que l’on applique une loi ou une autre en matière de droit du travail.

 

Par exemple, en vertu de l’article 9 de la Loi sur les accidents et les maladies professionnelles, un travailleur autonome qui dans le cours de ses affaires, exerce pour une personne des activités similaires ou connexes à celles qui sont exercées dans l’établissement de cette personne est considéré un travailleur à l’emploi de celui-ci, sauf exception. Également, les autorités fiscales pourraient conclure que le contrat s’apparente davantage à un contrat de travail et ainsi, notamment, réclamer à une organisation les déductions à la source impayées ainsi que les intérêts et pénalités afférentes. Encore, il pourrait y avoir certaines incidences au niveau de la TPS/TVQ.

 

Aussi, malgré le libellé des clauses d’un contrat de service, dans le cadre d’une situation litigieuse, le Tribunal administratif du travail pourrait lui aussi conclure que le lien qui unit les parties en est un d’emploi. À titre d’exemple, face à une plainte déposée par une personne, suivant l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, alors qu’il a été mis fin à son contrat sans cause juste et suffisante après deux (2) ans de service continu, le Tribunal administratif du travail pourrait conclure que le « prestataire de service » est en fait un « salarié » au sens de ladite loi. Dans un tel contexte, le Tribunal administratif du travail pourrait alors ordonner la réintégration de la personne ainsi que le versement par l’organisation de diverses indemnités.

 

 

CONCLUSION

 

Ainsi, en présence des trois éléments constitutifs du contrat de travail, soit l’exécution d’un travail, la rémunération et le lien de subordination, l’organisation se devra de respecter les obligations qui découlent de son statut d’employeur.

 

Nous vous invitons donc à faire les vérifications qui s’imposent afin d’identifier la nature réelle de la relation contractuelle au moment de contracter avec la personne dont vous souhaitez retenir les services, notamment lorsque vous envisagez une relation à durée déterminée. De plus, nous vous invitons à proscrire l’utilisation du terme « contractuel » dans le but d’éviter toute confusion quant au statut de la personne.

 



[1] Extrait du jugement Ville de Brossard c. Syndicat des employés de la Ville de Brossard (C.S.N.), [1990] T.T.

[2] 2009 QCCA 611.

 
 

 
Publication juillet 2022
Dernière révision septembre 2022