Technologie, voyeurisme et vie privée
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Par l'équipe du Service juridique du Regroupement Loisir et Sport du Québec et son Centre québécois de services aux associations
De nos jours, il n’est pas rare de devenir un figurant involontaire à l’arrière-plan d’une photo prise entre amis au parc ou, lorsque des parents filment les prouesses sportives de leurs enfants à l’aréna ou au gymnase. Nos tablettes électroniques et nos cellulaires sont des petits objets du quotidien qui nous permettent de documenter divers moments de notre vie, et ce, très facilement. Cependant, l’omniprésence de ces technologies peut donner lieu à certains abus, notamment lorsque ces tablettes électroniques ou ces cellulaires deviennent des outils permettant d’avoir des comportements hors normes, tel le fait de s’adonner au voyeurisme.
Lorsque l’on pense au voyeurisme, on entend généralement le comportement d’une personne qui consiste à épier autrui à son insu dans des conduites impliquant l’intimité. Cependant, à la lecture de la décision de la Cour suprême du Canada R. c. Jarvis (2019 CSC 10), il est possible de comprendre que le voyeurisme peut aussi prendre sa source dans des actions quotidiennes et anodines tenues dans des lieux publics.
L’infraction de voyeurisme a été introduite au Code criminel en 2005. L’objet de cette infraction est de protéger la vie privée et l’intégrité des personnes à l’encontre de l’utilisation de nouvelles technologies en évolution (voir para 48). Les trois éléments constitutifs du voyeurisme sont donc (1) observer par des moyens mécaniques ou électroniques une personne à son insu; (2) cette personne avait une attente raisonnable de protection de sa vie privée et (3) l’observation ou l’enregistrement est fait dans un but sexuel.
La Cour suprême du Canada avait à se pencher sur le cas d’un professeur d’anglais dans une école secondaire de l’Ontario, qui de 2010 à 2011, a, au moyen d’un stylo muni d’une caméra cachée, pris des images, du haut du corps, notamment la poitrine, de plusieurs de ses élèves alors qu’elles vaquaient à leurs occupations scolaires quotidiennes telles que discuter avec leur camarade de classe, lire un livre ou faire la file à la cafétéria. Les images recueillies à l’insu des élèves l’ont été dans des zones communes et fréquentées par de nombreux autres élèves. Selon l’accusé, même si les images captées par son stylo caméra ont été prises dans un but sexuel et sans le consentement de ses élèves, il n’était pas possible de le déclarer coupable de voyeurisme puisque les élèves ne pouvaient pas s’attendre à la protection de leur vie privée dans un lieu public, comme des corridors d’école, ou elles peuvent être observées par tous, à tout moment.
La Cour suprême du Canada n’est pas du même avis que l’accusé. En effet, selon la majorité, le fait de se trouver dans un lieu public ou semi-public n’entraîne pas automatiquement renonciation à toute attente de protection de la vie privée. En d’autres mots, une observation ou un enregistrement non sollicité, pris à l’insu d’une personne, dans un but sexuel, pourrait être considéré par les tribunaux comme étant du voyeurisme, même si cette observation ou enregistrement se fait dans un lieu public, si la personne avait une attente raisonnable au respect de sa vie privée.
Afin de savoir si une personne pouvait raisonnablement s’attendre à ne pas faire l’objet de l’observation ou de l’enregistrement effectivement survenu, il est important de faire une analyse contextuelle de la situation à l’aide des critères suivants : (1) l’endroit où se trouvait la personne filmée; (2) la nature de la conduite, c’est-à-dire s’agissait-il d’une observation (une atteinte moindre) ou d’un enregistrement mécanique (une plus grande atteinte); (3) la connaissance ou le consentement de la personne filmée; (4) la manière dont l’observation ou l’enregistrement ont été faits; (5) l’objet ou le contenu de l’observation; (6) l’existence d’un règlement ou d’une politique qui régissent l’enregistrement ou l’observation; (7) la relation entre les personnes; (8) l’objectif pour lequel l’enregistrement a été fait; (9) les attributs de la personne ayant été filmés ou observés.
Ainsi, même dans un lieu public, une personne conservera certaines attentes quant à la protection de sa vie privée, notamment, en ce qui trait aux parties sexualisées de son corps. Il est donc nécessaire de comprendre que le concept de vie privée ne peut être simplement lié à un lieu.
Publication mars 2019
Dernière révision mai 2023