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CHRONIQUES ET RESSOURCES





Discrimination et accommodement raisonnable en matière de handicap

Nous publions sur ce site des chroniques vulgarisées qui visent à répondre aux préoccupations juridiques fréquentes des organismes sans but lucratif. Toutefois, l’information contenue dans ces chroniques est de nature générale et ne constitue d’aucune façon une opinion ou un conseil juridique. Pour répondre à vos questions spécifiques, nous vous recommandons de rejoindre nos avocats au (514) 252-3137, qui vous proposeront les solutions les mieux adaptées à votre situation précise et à vos besoins.

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Une discothèque peut-elle être tenue d’accepter une personne non-voyante accompagnée de son chien guide dans sa section principale, qui inclut une piste de danse ? Il semblerait que oui, car la Cour d’appel a récemment condamné l’ancien Radio Lounge de Brossard à verser 2 500$ en dommages moraux à l’individu à qui l’accès avait été refusé. Nous profitons de la sortie cette décision pour revenir sur la question des accommodements raisonnables dans les cas de prestation de services.


La Charte des droits et libertés de la personne prévoit à son article 10 que « toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap ».


De plus, l’article 15 de la Charte prévoit qu’on ne peut pas, par discrimination, empêcher quelqu’un d'avoir accès aux moyens de transport ou aux lieux publics, tels les établissements commerciaux, hôtels, restaurants, théâtres, cinémas, parcs, terrains de camping et de caravaning, et d'y obtenir les biens et les services qui y sont disponibles.


C’est principalement sur la base de ces dispositions que certaines personnes déposent une plainte à la Commission des droits de la personne lorsqu’elles estiment avoir été victimes de discrimination dans un contexte de prestation de biens ou de services.


C’est ainsi qu’un homme non-voyant a déposé une plainte après que le Radio Lounge de Brossard lui eut refusé l’accès à sa section principale, qui comprenait la piste de danse et d’autres services, en raison de la présence de son chien guide qui constitue le moyen de pallier son handicap . Le plaignant, M. Beauregard, se présente le soir du 16 mai 2009 à cette discothèque avec son chien Bacchus et un ami, mais le gérant lui demande de laisser son chien guide au vestiaire pour des motifs de sécurité. Le gérant craint en effet que la présence du chien-guide dans les lieux où se trouvent plus de 500 jeunes adultes festifs puisse donner lieu à des chutes, des bousculades, voire à des bagarres.


M. Beauregard s’estime victime de discrimination et insiste pour entrer avec son chien dans l’établissement. On lui propose alors d’aller gratuitement dans la section V.I.P de la discothèque. M. Beauregard, jugeant que cette proposition est inadéquate et méprisante (car elle aurait pour effet de l’isoler des autres clients de la discothèque), quitte les lieux et porte plainte auprès de la Commission quelques semaines plus tard.


Comment évaluer si nous sommes en présence d’une situation de discrimination qui exige un accommodement, ou, à l’inverse, qui est justifiée en vertu des circonstances ? D’abord, le plaignant doit établir que la décision qui a été prise est à première vue discriminatoire. Dans le dossier de M. Beauregard, tous conviennent que c’est effectivement le cas. Ensuite, il revient au fournisseur de services de prouver que la décision prise possède une justification réelle et raisonnable. En d’autres termes, la discothèque doit démontrer que sa décision visait à atteindre un objectif apparemment légitime, soit la sécurité, et qu’elle était prise de bonne foi. La Cour ne remet pas en question ces deux éléments.


Enfin, le fournisseur de services doit démontrer que la décision discriminatoire se révèle, dans les faits, raisonnablement nécessaire à la réalisation de l’objectif, et qu’elle intègre des mesures d’accommodement. S’il ne peut offrir de mesures d’accommodement, il doit prouver que c’est parce que cela le confronterait à une contrainte excessive. Par exemple, si un prestataire de services doit engager des coûts exorbitants pour pouvoir offrir un accommodement raisonnable à une personne handicapée, cela peut constituer pour lui une contrainte excessive justifiant la décision discriminatoire et l’impossibilité d’accommoder l’individu. Si la mise en place des mesures d’accommodement engendre des risques graves ou excessifs, cela peut également représenter une contrainte excessive.


Dans le cas de M. Beauregard, la Cour d’appel se demande si le refus de permettre l’accès à M. Beauregard et à son chien guide dans la section principale du Radio Lounge était raisonnablement nécessaire pour assurer la sécurité des clients et si la mesure d’accommodement proposée, soit l’usage gratuit d’une loge V.I.P., constituait la mesure appropriée d’accommodement dans les circonstances. La Cour conclut que non. Selon son raisonnement, il n’a pas été prouvé que la présence du chien dans la section principale entraînerait un risque « grave ou excessif » pour la sécurité de la clientèle. Elle soutient également qu’aucune véritable mesure d’accommodement n’a été sérieusement envisagée, jugeant que la proposition du Radio Lounge de donner l’accès au salon V.I.P. est une solution de contournement qui a pour effet pratique d’isoler et d’exclure M. Beauregard. La Cour d’appel condamne donc la discothèque à verser 2 500$ en dommages moraux à M. Beauregard. L’un des 3 juges est toutefois dissident et aurait rejeté le pourvoi.


En conclusion, nous sommes d’avis que cette décision est d’un grand intérêt, car elle rappelle que les prestataires de services doivent autant que possible accommoder les personnes ayant un handicap si elles ne veulent pas faire l’objet d’une plainte à la Commission des droits de la personne. Or, les organismes sans but lucratif qui offrent des services ou des activités à leurs membres n’échappent pas aux obligations prévues à la Charte. Ainsi, à moins que ces organismes ne puissent prouver l’existence d’une contrainte excessive (en matière de coûts, de ressources, ou de risques graves, par exemple, ce qui peut constituer un lourd fardeau), ils devraient donc rechercher et mettre en place les mesures appropriées pour accommoder leurs membres qui sont victimes d’un handicap, et ce en fonction d’une évaluation individuelle. En effet, la forme de l’accommodement devra prendre en compte les capacités de la personne concernée, plutôt que des caractéristiques présumées du groupe dont elle fait partie.


Publication mai 2015